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"Corps-esprit, l’expérience subjective"

"Corps-esprit, l’expérience subjective"

Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du vendredi 8 mars 2019
thème : Le corps 2e partie

Dans la dernière conférence, j’ai abordé le sujet du corps en vous rappelant comment le yoga le tient en considération et lui permet d’en réaliser sa transcendance.
La thématique du corps fait partie de ces sujets sur lesquels nous pouvons parler indéfiniment.
Nous pourrons toujours analyser la transformation de ce corps au fil des siècles et la considération que nous en avons par le filtre socio - culturel - environnemental du moment.
Le futur nous réserve d’ailleurs bien des surprises à son sujet.

La dernière fois, je posais le rapport métaphysique du corps à l’âme. Je vais essayer de reposer modestement ce rapport qui parfois devient celui du corps à l’esprit selon les interprétations des théologiens ou philosophes du moment.

Le mouvement philosophique occidental de la phénoménologie du début du XX°siècle induit par Edmund Husserl invitait à reconsidérer le réel en faisant un retour sur la manière dont les choses s’offrent à nous, à notre corps et à l’expérience majeure qui nous fait accéder à leur sens.
C’est au départ, à l’image de la démarche expérimentale millénaire que l’on retrouve dans le yoga.

Pour Husserl, le corps devient l’objet principal de l’explication de la vie sensible et subjective.
Il est donc une clé majeure à la compréhension du réel apparent.
"Il s’agit, au-delà du concept plutôt abstrait du corps-esprit, d’identifier la façon dont la conscience s’incarne, s’éprouve comme chair dans le monde matériel.
Le corps devient une interface entre la nature matérielle des objets et l’esprit supposé immatériel."

Ici la conscience n’est pas définie de la même façon que nous la définissons en yoga.

Dans la métaphysique hindoue, la conscience absolue immuable Brahman ब्रह्मन् et non manifestée est aussi apte à la manifestation. Prakṛti प्रकृति est cette nature manifestée.
La conscience absolue se manifeste chez l’ être humain par la supra-conscience individuelle présente dans le « Je profond objectif et intemporel » et dans le « Je personnel subjectif temporel » par une conscience prise au piège de l’illusion de l’histoire personnelle et de la relativité des organes de la perception. voir la conférence « Je suis l’Océan ».

Dans la phénoménologie, dès le départ, on se fie aux organes des sens comme moyen d’expliquer l’expérience sensible de la conscience.
Réduirait-on ici la conscience à l’esprit individuel perceptif et donc sujet à l’illusion ?

En yoga, nous allons expérimenter les organes des sens afin de les maîtriser et identifier le réel immédiat. On les appelle les Jñānendriya ज्ञानेन्द्रिय, les organes de la connaissance, ceux qui nous permettent d’être en intieraction aussi bien avec le monde extérieur qu’intérieur.
Nous allons à la fois les rassembler vers l’intérieur dans le Pratyāhāra प्रत्याहार, le retrait des sens, mais aussi les orienter vers l’extérieur en les optimisant vers des perceptions psychiques hors du commun. Cela développera les Siddhi सिद्धि, les fameux pouvoirs des yogis, pouvoirs du corps entre autres donnés par les pratiques physiques et énergétiques, par la force psychique et la maitrise mentale.

Cependant, à un niveau élevé de réalisation spirituelle yoguique, là où les pouvoirs doivent être abandonnés, il y a une totale remise en question des Jñānendriya, voire un abandon de ceux-ci afin d’atteindre une expérience perceptive intuitive transcendant la perception ordinaire du soi-disant réel.
Pour le yogi, le réel immuable n’est pas dans la perception immédiate ordinaire.

La physique quantique nous rappelle qu’il apparaît que notre perception de l’univers soit fausse car derrière la réalité quotidienne existe un monde fascinant.

Pour revenir à la philosophie de la phénoménologie, l’expérience sensible du corps va passer par le toucher avant les autres sens. Cependant, tous les organes des sens participent à la localisation de notre corps pour agir.
"C’est la sensation tactile qui, apparaissant dans le mouvement du corps qui n’est pas encore en contact avec un autre élément matériel ou vivant, nous fait ressentir en premier le corps comme étant le nôtre", nous dit Claudia Serban.

Le corps produit ses mouvements par la volonté du je, (de l’égo ) afin d’ exprimer sa liberté spontanée d’action, en opposition aux objets inanimés.
Ici la notion d’égo est à considérer différemment de celle que nous avons en yoga.

Cette possibilité de mouvements libres lui donnent cette ouverture d’expérimenter le monde extérieur, comme son immobilité et sa passivité lui permettent d’expérimenter son monde intérieur.

Le corps est donc avant tout, l’organe de la perception et de la volonté.
Icchā śakti इच्छा शक्ति, la volonté inébranlable en yoga étant une des trois énergies fondamentales (śakti शक्ति) permettant d’aborder la transcendance par son action de fusion avec celle de la connaissance Jñāna śakti ज्ञान शक्ति et celle de l’action Kriyā śakti क्रियाशक्ति.

Les choses matérielles ne sont susceptibles que de mouvements mécaniques même si elles peuvent être de nos jours très sophistiquées, robots et IA à l’appui.

Toutefois, seul le corps est capable de mouvement spontané, immédiat et intuitif.
C’est sa suprématie sur ce monde matériel. C’est grâce à cette liberté d’action que peut se constituer pour l’homme dans de nombreux champs de perception, un monde spatio-temporel fait d’objets.

Nous pouvons mesurer le fruit de cette liberté d’action aux œuvres bonnes ou mauvaises produites par l’homme, et cela, par son simple corps animé par la volonté déterminée de son esprit intuitif ou analytique.

A quand un robot apte à cette liberté d’action inventive, créatrice et immédiate ?
Ce n’est pas à espérer !

Appréciez donc plus que jamais, la beauté de vos postures et cette aptitude du ressenti du corps, de la négociation avec vous-même, des sensations agréables ou non qui vous apprennent à habiter ce corps avec grande sensibilité et grande intelligence.

Les transhumanistes d’aujourd’hui voudraient bien renvoyer notre enveloppe mortelle au néant et nous réduire à un simple réseau de neurones téléchargeable.
Pour eux, comme pour Platon et son « corps tombeau de l’âme », le corps est un empêcheur de tourner en rond, car il est fragile, sujet aux pathologies, aux servitudes de la nourriture, du repos, du vieillissement.

Pour eux, l’esprit peut perdurer après la mort.
Mais de quel esprit, parlent-t-ils ?

Pour Platon ou d’autres philosophes, on parlera de la transmigration des âmes.
Pour les transhumanistes, on parlera de mutation scientifique en fabriquant de nouvelles enveloppes de chair pour y glisser des consciences numériques.

Pour Platon, le corps est un obstacle qui empêche de contempler le monde véritable, celui des idées et du bien.
Pour le yogi, le corps est l’outil merveilleux et temporel de la transcendance, qu’il faut connaitre, aimer, optimiser, transfigurer pour lui donner sa dimension supra-consciente.
Sans être une finalité, il est le passage vers les plans subtils.
Il est source de volupté infinie par la merveilleuse alchimie de l’Énergie et de la Conscience supérieure qui l’animent. C’est le principe de la réalisation du couple Śiva-Śakti शिव शक्ति par le processus de la transmutation.
Le corps permet la révélation d’une certaine dimension du réel mais il est celui dont il faut aussi savoir se défaire avec respect au moment voulu.

Ainsi donc la relation corps-esprit dépend des représentations sociales du temps.

Pour Platon, le corps est le tyran de l’âme qui témoigne de l’état d’équilibre ou de déséquilibre de cette dernière. Il s’agit donc de le discipliner par la gymnastique, les arts, la médecine, car la maladie physique ou mentale est le fruit d’un combat.

Platon disait avec les mots de l’époque :
« Si l’âme est plus forte que le corps, elle le secoue tout entier du dedans, produisant un comportement négatif. Si le corps est plus fort, l’âme sombre dans la plus grande des maladies, l’ignorance. »

Ne seraient-ce pas là, dans la philosophie occidentale, les prémices où l’on ne renvoie pas les maladies comme fléaux venant des dieux mais venant de notre gestion corps-âme, voire corps-esprit ?
C’est, en tous les cas, une pensée proche de celle du yoga.

Le notion du corps-esprit va changer radicalement avec la venue d’un dieu incarné en la personne de Jésus, capable de souffrir dans sa chair mais aussi de ressusciter.
Dans la vision biblique, pas de séparation au départ entre le corps et l’âme, l’homme étant une personne indivisible, une chair dans laquelle corps et âme ne se distinguent pas, la maladie étant la conséquence du péché, de l’imperfection humaine.

Ce monisme de départ va évoluer bien sûr vers une pensée théologique plus dualiste, qui va présenter l’homme comme étant la synthèse de deux entités ; le corps et l’âme - voire trois ; le corps, l’âme et esprit - chaque théologien les définissant à sa manière.

Je vais donc vous les définir tels que la philosophie occidentale les conçoit.

 L’âme est considérée comme un principe susceptible d’animer la matière. Utilisée par Descartes comme synonyme de pensée ou de conscience, la notion a été abandonnée par la suite en philosophie à cause de sa connotation religieuse. En yoga, et plus largement dans les traditions spirituelles orientales, c’est un concept majeur et toujours d’actualité. En métaphysique hindoue, l’âme est l’Ātman आत्मन्, la partie immuable dans la nature humaine individuelle à l’image de l’absolu.

 L’Esprit est un terme employé dès l’antiquité grecque, chaque philosophe en donnant sa propre définition. Au sens contemporain, c’est l’instance de pensée sur le corps qui anime l’être humain. En yoga, nous retrouvons cette notion avec le Puruṣa पुरुष du Saṃkhyā संख्या.
Le Puruṣa est à la fois l’esprit absolu en dualité avec la Prakṛti (la nature), le monde reposant sur leur interaction. Mais le Puruṣa peut être aussi apparenté à l’esprit de l’homme, en tant que supra-conscience individuelle.
 Le monisme est la doctrine selon laquelle il n’existe qu’un seul principe. Dans le propos du corps, il est la matière.
 Le dualisme étant toute doctrine soutenant l’existence de deux principes irréductibles l’un à l’autre, comme l’âme et le corps par exemple.

Nous retrouvons ces raisonnements monistes ou dualistes dans les postulats du Vedānta वेदान्त ou du Saṃkhyā dont nous avons déjà souvent parlé.
 Le postulat du Vedānta : « Seul Brahman est réel, et tout le reste n’est que son reflet irréel. » Le Vedānta est une philosophie fondamentalement non dualiste.
 Le postulat du Saṃkhyā  : « Le monde repose sur l’interaction de deux principes, le Puruṣa et la Prakṛti, l’esprit et la nature manifestée. » Le Saṃkhyā est quant à lui dualiste.

Depuis des années, nous avons maintes fois abordé le sujet du corps selon la conception indienne et yoguique. Il y a une évidence qui persiste. Malgré les approches métaphysiques diverses et spécifiquement indiennes du corps appréhendé au cours des différentes époques, un principe ne change pas fondamentalement des approches occidentales.
Le corps reste le corps. Il n’y a pas un corps indien et un corps français.
Les problématiques métaphysiques restent les mêmes.
Par contre, l’approche ésotérique et spécifique du corps dans le yoga est fondamentalement originale.
Elle l’est car elle s’appuie sur la seule expérimentation, est quantifiable pour le pratiquant et est au-delà de toute spéculation intellectuelle.
Le succès de l’action yoguique valide dans le plan du corps comme de l’esprit,
la véracité de la transmutation.
Les yogis en sont la preuve vivante.

Hari om tat sat
Jaya Yogācārya

Bibliographie :
 « Une question vieille de 3000 ans » de Florence Leroy, article hors-série aux edts Sciences et Avenir - janv 2019.
  « Le corps, les textes fondamentaux », aux edts le Point -Références - Oct 2017
 « Images du corps dans le monde hindou » de Véronique Bouillier et Gilles Tarabout
https://books.openedition.org/editionscnrs
 adaptation par Jaya yogacarya

©Centre Jaya de Yoga Vedanta Ile de la Réunion

Messages

  • Chère Maître,
    Votre enseignement riche,juste et original à souhait, invite notre corps, meilleur ami de l’âme, à s’aimer dans une spontanéité extraordinaire, conviant ainsi beauté, ressenti, grande sensibilité au quotidien.
    Nos expériences s’etoffent, l’osmose du corps, de l’esprit et de l’âme dans une pratique régulière réalisera le Un indivisible, la dimension Supra-Consciente.
    MERCI mille fois de votre patience et de votre bienveillance.
    Ngico

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