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Le langage des dieux

Le langage des dieux

Le son originel : 1ere partie 

saṃskṛtam

Conférence donnée par Jaya Yogacharya en cours de méditation le 14 avril 2016

Nous avons quitté le désert et sommes revenus à nos activités mondaines sans pour cela quitter la ligne unique du cheminement spirituel. Sur ce chemin, il nous faut sans cesse puiser le savoir à la source afin de poursuivre notre avancée.

Lorsqu’on aborde les concepts métaphysiques ou la connaissance millénaire du yoga, il faut rapidement écarter toute approche douteuse basée sur le sentiment ou le ressenti immédiat.

Le savoir yoguique nécessite une clairvoyance intellectuelle avant d’atteindre la clairvoyance elle-même. Il est donc utile de pouvoir mesurer l’amplitude de cette connaissance avant d’agir en son nom. Elle devrait plutôt imposer l’humilité et la prudence.

Le propos essentiel de la science yogique est d’identifier les différentes étapes qui conduisent de notre plan de perception et sa multiplicité à l’absolu inqualifiable, l’Un sans second, ne relevant pas quant à lui de la clairvoyance intellectuelle, mais de la seule expérience transcendantale.

Nous autres, êtres humains, sommes sujets à la perception de la dualité et de la séparation, mais nous avons grâce à la connaissance spirituelle, la possibilité de passer au-delà de cette dualité sujet-objet.

Le travail spirituel nécessite d’épuiser tous les outils sensibles, d’utiliser le raisonnement, de se débarrasser de la quête d’une réussite personnelle afin d’être pleinement disponible à l’expérience, avec une écoute véritable et une clairvoyance sans ambition. Seul cet état peut nous transporter vers les plans subtils de la Conscience.

Parmi les plus importantes créations de l’Univers, autrement dit de la Conscience Universelle, nous trouverons le son, nada (nāda) ou shabda (Śabda) et ses déclinaisons multiples, subtiles et grossières.

« Tout ce qui bouge est accompagné d’un son », nous disent les Mantrashâstras (Mantra Śāstra).

La Cymatique ou comment le son crée la forme - YouTube

« Ce qui correspond à l’absolu qui se déploie en tant que création grâce à la Shakti (Śakti) c’est le Shabdabrahman ( Śabda Brahman) qui lui non plus, n’est ni affecté et ni corrompu par les innombrables formes évolutives des sons et du langage », nous dit Alain Porte.

Les yogins ne perçoivent le son divin que parce qu’ils affinent l’oreille aussi bien que le cœur, qu’ils aèrent suffisamment le corps et l’esprit pour gagner en fluidité afin d’atteindre l’oreille absolue, le son absolu qui est cette réalité impérissable, sans début ni fin.

« L’I-nouï » peut alors rejoindre l’Indicible ! », nous dit toujours A.Porte.

Bien sûr, le commun des mortels n’est guère préoccupé par la quête métaphysique du son divin et de plus en plus d’ailleurs, dans notre monde contemporain, ce désintérêt est bien illustré par la prédominance du bruit et du tapage comme affirmation de l’activité humaine.

Dans cette subtile démarche, il s’agit, pour mieux percevoir et saisir, de gagner en premier le silence. La pratique du silence permet progressivement d’atteindre cet autre silence où le pouvoir primordial du son n’est pas utilisé pour nommer les choses du monde.

Dans ce silence, Shabda (Śabda) ou Nada (nāda), Artha ( l’objet) et Pratyaya (le sens), naissent en une même éclosion de conscience, sans formulation humaine.

« Le TOUT est perçu là dans sa lumière originelle ».

Dans l’étude de l’éveil de l’énergie, la plus haute réalité est Shiva-Shakti (Śiva-Śakti), où Śiva et Śakti ne sont pas différents mais sont Un. Śiva est la conscience statique, Śakti est la dynamique, mais c’est par sa Śakti que Śiva réalise la manifestation de l’univers.

Ce qui veut dire que la Conscience est la seule cause du monde.

L’évolution est donc le fruit du mouvement Śiva-Śakti (conscience-énergie).

Le monde des sons, des choses et des pensées est la propre manifestation de la Conscience.

La voie d’évolution va ainsi donc du subtil au grossier.

Ce que les sages appellent la réalité, est au-delà des plans de la matière et de la vie. Elle est sans division, sans activité, hors de portée du mot et de l’esprit.

Dans les textes anciens, cette évolution part du point transcendant et absolu pour descendre vers les plans de la manifestation, jusqu’ à aboutir aux 5 Tattva, les 5 éléments qui constituent la matière : Terre - Prithivi (Pṛthivī)) ; Eau - Apas (Āpas) ; Feu - Agni (Agni) ; Air -Vayu (Vāyu) ; Ether – Akasha (Ākāśa).

Vous connaissez déjà une classification simple qui est l’arborescence des 25 upadhi, dans le système des 3 corps, des 5 gaines du Samkhya (Sāṃkhya). Voir tableau voir art les 25 upadhis.

Une autre hiérarchie à 36 niveaux ou 36 tattva appartient aux textes puristes du Shivaïsme du Cachemire et au Shaktisme.

Dans cette autre hiérarchie, découlent de l’absolu, 5 catégories qui seront ensuite suivies par 31 dont les 25 que vous connaissez déjà.

Les 5 premières catégories (tattva en terme général) de la création pure en partant du haut sont, selon les sages :

1e ou 36e - {{}}Śiva tattva, le 1er dans l’ordre de l’évolution, la conscience,

2e - Śakti tattva, sa parèdre, son équivalent, la dynamique,

3e - Sadāśiva tattva représente l’étape où l’expérience de l’être commence avec la puissance du désir qui prédomine Iccha shakti (icchāśakti ),

4e - Ishwara tattva (Īśvara) représente la puissance de connaissance jnana shakti (Jñāna),

5e – Shuddhavidya tattva,(Shuddha vidyā) la puissance de l’action kriya shakti (kriyā).

Ce n’est qu’après shuddha-vidya que commence Maya (Māyā) la 31e, la création réelle impure du monde, avec sa puissance d’obscurcissement.

C’est, nous dit Arthur Avalon, Māyā qui crée la pluralité du monde mais rend notre expérience limitée, par la dualité du Je et de l’objet.

Les cinq catégories suivantes sont appelées les Kanchuka ( Kañcuka), les contracteurs, les cuirasses, qui constituent les modes dans lesquels la limitation est provoquée.

Kāla (Kāla) est la limitation temporelle, Niyati (Niyati) est la limitation de l’espace. (niyata = compressé), Rajas (rajas) est l’attachement aux choses. Vidya (vidyā) est le savoir limité. Kalā (Kalā) est l’activité limitée.

Enveloppée dans ces cuirasses, l’âme, le Purusha (Puruṣa) surgit. C’est l’équivalent d’Ananda dans la classification des 25 upadhi du Sāṃkhya. Ensuite vient donc la prakriti (Prakṛti), la nature manifestée et ses limitations dans le plan objectif qui déroulera les 24 stades du samkhya que vous connaissez avec l’antakarana (Antaḥkaraṇa), les 5 jnana indriya (Jñāna indriya ), les 5 prana (Prāṇa), les 5 karma indriya (Karma) et enfin les 5 pancha maha bhuta (pancha maha Bhūta).

Cette représentation du monde des choses a son équivalent dans le monde des sons. Dans ce cas-là, l’absolu est Shabda-Brahman ( Śabda Brahman).

On dit que la totalité du monde est né de Śabda, du son.

Là encore, la voie de l’évolution va du subtil vers le grossier.
Correspondant aux cinq catégories de la création pure de la classification précédente, nous allons trouver là, les 5 étapes de l’émanation du son.

La 1e est Parā, (Parā) qui est l’émanation du son suprême et subtile.

La 2e est Pashyanti (Paśyantī ) un peu moins subtile et encore non différenciée.

La 3e est Madhyamā ( Madhyamā) qui est un peu plus grossière et non différenciée, bien que non articulée.

Le son articulé est ensuite Vaikhari. Il a deux formes, subtile et grossière. C’est de Vaikhari que toutes les lettres Varna (varṇa), les syllabes Pada (padā) et les phrases (vâkya) sont manifestées.
Pâra qui demeure dans le Shiva Tattva est le premier mouvement de Shabda. On l’appelle aussi Nâda-tattva.
Pashyanti représente Shakti-tattva plus connu sous le nom de Bindu-tattva.

Nâda et bindu sont les compléments de l’ultime puissance de création. D’eux surgit ce qui est connu comme le Tribindu, la racine de tous les mantras. Les trois bindus sont le blanc, le rouge et l’indifférencié. Ce sont les "bindus effets" en relation avec le Maha bindu, l’originel.

Dans la science de l’énergie, une multitude de déclinaisons sont toujours établies sur cette trilogie, (lune, feu, et soleil), (Iccha, Jnana, kriya), (Brahma, Vishnu, Siva), (Vama, Jyeshtha, Raudri).

Les trois bindus constituent d’ailleurs les pointes du fameux triangle qu’est le tripura d’ où découle le triangle A-Ka-Tha que nous étudions en kriya avancé, connu aussi sous le nom kāmakalā. Le soleil est kāma, et la lune et le feu sont kalā. C’est du triangle kāmakalā ou A-ka-tha que surgissent les subtils shabdas ou sons appelés mātikā (les petites mères) d’où proviennent les shabdas grossiers, à savoir les lettres, (vara,) les mots ( pāda) et les phrases (Vākya).

C’est donc sur ce triangle que sont distribuées les lettres de l’alphabet sanskrit. À savoir les 16 voyelles de Brahma (Brahmā), les 16 lettres de Vishnu (Viṣṇu), les 16 lettres de Rudra pour finir par trois dernières lettres spécifiques siégeant dans les trois coins intérieurs du triangle en question.

On dit que Śabda (shabda), le son primordial, est de la nature des vara ( les lettres), et des dhvani, (les sons).

« Le son manifeste la lettre ».

Chaque élément ou catégorie de l’univers a son propre son naturel appelé bīja, (germe).

C’est ainsi que les 5 éléments, éther, air, feu, eau, et terre ont respectivement leur son, leur phonème (ha, ya, ra, va, la ).

On dit que les sons types sont éternels ainsi que les relations entre eux et les relations à leurs objets. Ces sons d’ailleurs constituent des mantras par combinaison mutuelle. On dit qu’un mantra est appelé ainsi (man = manas (mental) et tra = instrument) parce qu’il sauve celui qui médite sur sa signification.

Chaque son a finalement, dans la symbolique, sa divinité et inversement, chaque divinité a son son.

Par exemple, le bija mantra de Shakti étant Hrīṃ.

Hrim (Hrīṃ), est composé de ha (l’éther), de ra (agni le feu), de ī (l’Ardhanārīśvara), Īśvara, le seigneur qui prend le ī féminin de Śakti, l’énergie, et de , plus précisément a le nada-bindu symbolisé par l’Anusvāra, la lettre résonnante par excellence.

Je vais alléger pour finir, l’approche du son et de l’origine des phonèmes par la dimension légendaire. Les Śivaïtes appellent leurs textes les Āgama ou tantra et les Vinuïtes les Sahitā (Saṃhitā). Dans les āgama, il est dit que c’est Śiva lui même qui aurait révélé à son fils amukha, les textes qui parlent des tattva, du varabheda, la classification des phonèmes, et comment les mantras sont formés et pour quelles raisons, ils sont employés dans tel rituel.

Ṣaṇmukha, Murugan en tamoul,est le dieu à six faces né des 5 tattva (les 5 éléments) et de Śakti, l’énergie. C’est un dieu invincible, mais surtout porteur de la connaissance lui ayant permis de donner cette science aux ascètes, ces derniers les transmettant à leur tour aux hommes mortels.

Dans un de ces āgama, il est dit que pour la réussite d’un vœu ou d’un rituel, la présence d’un ou de plusieurs dieux est nécessaire. Il faut donc les appeler ! Pour cela, les sons faits de consonnes et de voyelles sont incontournables. C’est pourquoi Śiva créa un alphabet appelé Vara mālā, « la guirlande de lettres ». Ainsi donc, il est à l’origine de tous les phonèmes. Tous ces varnas sont finalement divisés en masculins, féminins et neutres.

Bīja, graine, ara « ce qui bouge », liga « l’origine », akrara « qui n a pas de fin », mātikā « petite mère », sont les synonymes du vara, le phonème. Mātrika est aussi le terme pour indiquer le vers poétique dans le langage védique.

saṃskṛtam संस्कृतम्

Les êtres humains possèdent le pouvoir des mots.

C’est un pouvoir phénoménal, magique, qu’ils ont su, pour certains, utiliser de façon sublime quand d’autres s’en sont servi pour détruire et mettre le chaos.

C’est pourquoi le silence, qui contient tous les germes des mots, contient la connaissance.

Hari om tat sat

Jaya yogacharya

Bibliographie :
 « La doctrine du Mantra « d’Arthur Avalon aux edts Orientales
 « Éléments de grammaire sanskrite » de Vasundhara Filliozat aux edts Āgamāt
 Commentaire et adaptation de Jaya Yogacharya

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