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Paśyantī, le son de la pensée

Conférence donnée par Jaya yogacharya en cours de méditation du vendredi 29 avril 2016.

Paśyantī, le son de la pensée

Le langage des Dieux : 2e partie

Nous allons poursuivre ce soir notre découverte philosophique du son que nous avons abordée la dernière fois et telle que nous la propose la pensée indienne.
Il nous faut pour cela comprendre la situation des hommes primordiaux qui se trouvèrent dans un monde énigmatique. Leurs intelligences et leurs perceptions, différentes des nôtres, firent face aux phénomènes de cet univers. Sans outils scientifiques, des êtres dits illuminés, analysèrent des phénomènes tels que ceux de l’émergence du son et de la parole, par la vision spirituelle et l’expérience transcendantale.

Rappelez vous dans notre dernière conférence, pour réaliser cette approche, nous avons décrit la classification des 36 tattva de la pensée Shivaïte du Cachemire et mis en parallèle aux 5 premières catégories supérieures, les 5 classifications correspondantes du son.
 à Śiva tattva, le 1er dans l’ordre de l’évolution, la conscience absolue, correspond le Parā qui est l’émanation du son suprême et subtil.
 à Śakti tattva, son équivalent dynamique, l’énergie, correspond Paśyantī, l’émanation du son un peu moins subtile mais encore non différenciée.
 à Sadāśiva tattva qui représente l’étape où la puissance du désir de la manifestation prédomine par Icchā śakti, correspond Madhyamā, l’émanation du son qui est un peu plus grossière et différenciée.
 à Īśvara tattva qui représente la puissance de la connaissance par Jñāna Śakti (Jñāna), correspond Vaikharī. Ici, le son prend deux formes, subtile et grossière.
 à Shuddha vidyā tattva, la puissance de l’action kriyā Śakti correspondent Varṇa les lettres, Padā les syllabes et Vākya les phrases manifestées.
Parā qui demeure dans le Śiva tattva est le premier état de Śabda. On l’appelle aussi Nāda-tattva.
Paśyantī représente Śakti tattva plus connu sous le nom de Bindu-tattva.

Paśyantī est le terme sanscrit qui désigne ce qui est « vu » et est dérivé du mot paśya signifiant « voir » et paśyat signifiant « voyant » ou un « bruit particulier ».

En philosophie indienne, l’individualité, qui est le premier niveau de la personnalité et la graine de toutes les pensées, des discours et des actions est aussi appelée « Paśyantī », signifiant « Cela qui est témoin ».

La danse cosmique de Śiva-Śakti génère un son subtil rythmique que les Rishis (Ṛṣi)
Védiques appelaient le Nāda de Brahman, le bruit primordial initial. Ce son est supposé avoir des fréquences extrêmement hautes allant bien au-delà de l’imagination. Les sages se rendirent compte des secrets subtils de la nature et comprirent que le bruit grossier accessible est lié aux vibrations cosmiques et semi-cosmiques beaucoup plus subtiles qu’ils considérèrent comme les bruits divins.
Tentant de comprendre l’énigme subtile de Vāni (le son ou la parole), ils trouvèrent quatre états du son :
 Parā, le son pur de Brahman (l’absolu), considéré comme l’émanation du son suprême et subtil.
 Paśyantī (le son semi-cosmique et ses pouvoirs. Semi-cosmiques signifiant qui laissent passer ou ne laissent pas passer).
 Madhyamā (le son cosmique de Purusha, le soi (perceptible et manifesté).
 et Vaikharī (les bruits grossiers des objets et des êtres vivants).

Les vibrations semi-cosmiques de Samashti-Prāṇa, le prāṇa du cosmos tout entier,
samasthi = cosmos, univers ( par exp, Hiraṇyagarbhaya est samasthi Prāṇa), produisent des ondulations qui sont visibles ou audibles par la seule perception subtile. Les Ṛṣi, par cette observation, appelèrent ce terme Paśyantī parce qu’ils pouvaient observer dans leurs méditations, les couleurs semi-cosmiques de ces vibrations prâniques sonores, observation connue en philosophie indienne par le terme Darśan, la vision.
Ils considérèrent que ces vibrations semi-cosmiques, donc semi-perceptibles portaient en germe le langage divin et les alphabets potentiels.
Ils en conclurent que les phonèmes viennent des alphabets divins pour produire des mots divins, à savoir les Mantras.

Ainsi, Paśyantī se réfère au son visible à la conscience, éprouvé comme sentiment ou image mentale.

Chaque niveau ou état du son correspond à un certain plan d’existence, un certain état de conscience. La capacité à expérimenter les différents niveaux des sons dépend de la finesse de la conscience. Quand un son sort de la bouche en tant que syllabe parlée, il est appelé Vaikharī-vāk, et constitue finalement un niveau relativement grossier.

Les sons très fins qui existent dans la pensée avant l’expression orale sont considérés comme des sons subtils et inaudibles. Le son existant lors de la formation d’une pensée comme idée, sentiment ou image est pour les sages, une réalité. Lorsqu’il se manifeste par une expression orale par la parole ou l’action, il devient Madhyamā-vâk. Le son qui ne manifeste pas sa nature audible mais se manifeste comme sentiment, une idée sans mots ou une image visuelle est appelé Paśyantī-vāk. C’est un son intuitif par nature et au-delà des formes linguistiques ou des cadres définis.

Bhartṛhari, 5ème siècle ap J.C, figure de la théorie linguistique Indienne, est l’auteur du Vākyapadīya, traité sur les mots et les phrases. Il a théorisé l’acte de la parole comme étant composé de trois étapes :
a) Conceptualisation par l’émetteur (Paśyantī " idée ")
b) Performance du "parler" (Madhyamā " moyen ")
c) Compréhension par l’interpréteur (Vaikharī"de l’énoncé complet").
Vākyapadīya est considérée comme l’œuvre majeure indienne de son temps sur la grammaire, la sémantique et la philosophie.

Bhartṛhari explique que le Vaikharī est le niveau de langage le plus extérieur et le plus différencié exprimé par la parole humaine. Il est alors entendu par un auditeur dans sa manifestation temporelle lorsqu’il arrive à maturité de cette manifestation.
Madhyamā représente un niveau manifesté intermédiaire de la pensée de l’esprit. Paśyantī est le niveau relatif plus fin où il n’y a aucune distinction entre le mot et la signification et il n’y a aucune séquence ou manifestation temporelle.
Parā est le niveau entièrement non manifesté au-delà de Paśyantī.

Il associe le niveau de Paśyantī du langage à un principe appelé spotha, qui représente aussi bien le sens dans son ensemble, existant autant dans l’esprit de l’homme que dans l’absolu. Spotha est un concept important dans la tradition grammaticale indienne et concerne le problème de la production de la parole, et des ordres de l’esprit donnant des unités linguistiques au discours pour sa cohérence.
Sphota désigne dans un cadre métaphysique, la capacité de la langue de l’ homme à révéler sa conscience.
La réalité ultime est également exprimable par la langue, la Śabda-brahman, ou "Eternel Verbe".

Sphota comporte dhvani le mot-son, le mot écho, et artha, le mot-sens. L’unité du nom et de la forme, du son et du sens, pour le sphota est Paśyantī . Les grammairiens affirment que la langue au-delà de la parole est la langue de la nature dont la grammaire n’a pas été encore découverte. Paśyantī représente le niveau le plus subtil de la nature et le plus proche de la nature elle-même.

« Quoique Bhartṛhari considère que Paśyantī soit le plus haut niveau du langage avec le mot sans séquence temporelle, il affirme que Paśyantī contient l’impulsion inhérente vers l’expression dans le temps et l’espace. Paśyantī joue sur deux dimensions – le Jāgrat chetna, la conscience ordinaire dans l’état de veille et détermine la force de l’expression, et Turya chetna, la conscience transcendantale qui détermine la non ordonnance du son et de son sens tout en gardant leurs traces dans le subtil. Ces deux plans apportent deux états d’infinité : la diffusion, l’extension illimitée dans l’espace, le temps et la causalité et pour Turya, l’unité créant la diversité par la dualité.

« En accord avec la pensée Védantique, l’accès à l’unité du langage et de la conscience sur les niveaux de Paśyantī et de Parā résulte des pouvoirs atteints par les accomplissements définis dans les Yoga Sutras.

« Satyakama Jabala that » est l’état du chercheur spirituel et dépend de la profondeur de la méditation, et deux mots sont significatifs de cet état : Abhidhyanam (dhyana), la capacité à méditer et Mātrā (degré), la profondeur.
La méditation a trois Mātrā ou niveaux et celui qui a atteint le stade de Paśyantī au-delà du Vaikharī et du Madhyamā, peut devenir un avec l’absolu en devenant libre.
Le germe de tous les langages lui est alors connu.

Sankara explique que le Paśyantī correspond au point de jonction entre l’état ordinaire de veille et la conscience pure. En quelque sorte, il correspond à un état d’illumination de l’esprit.
Un mot parlé ou la pensée dans l’état ordinaire de veille est seulement une expression partielle d’une signification éternelle ou du transcendantal signifié.

Le Tantra, comme les Vedas, identifie donc quatre niveaux de la parole.
 Vaikharī est le discours audible situé dans la gorge Viśuddha chakra ( Cakra) et se manifeste pendant l’état de veille, Jāgrat.
 Madhyamā est situé dans le cœur Anāhata et se manifeste pendant l’état de rêve, Svapna.
 Paśyantī est la parole illuminée située dans le nombril Maṇipūra et se manifeste pendant l’état de sommeil profond, Suṣupti.
 Parā est le son transcendant situé au centre de la racine Mūlādhāra et se manifeste dans le Samādhi ou l’éveil, Turya.

La puissance de la parole doit donc être rapportée à la base de l’épine dorsale pour permettre à l’énergie de la conscience d’activer Kuṇḍalinī afin qu’elle éveille elle-même les potentiels plus élevés. Paśyantī est l’état de vision, la perception supérieure ou le mot illuminé ; c’est le son qui perçoit et révèle la vérité. Parā représente le mot illuminé.

La Yoga Kuṇḍalinī Upanishad nous décrit que le son qui germe dans la forme suprême, le Parā, déploie d’abord ses feuilles dans le Paśyantī (la forme rayonnante), bourgeonne sous la forme subliminale de Madhyamā et fleurit dans Vaikharī (la forme acoustique) ; le son ainsi produit redevient non manifesté quand l’ordre est inversé.
Śabda Brahman est la source du son.
Le son non-manifesté, Parā, apparaît comme l’expression cinétique de la réalité éternelle tranquille et statique.


Vous pouvez entrapercevoir à présent pourquoi, dans la pratique spirituelle avancée, la quête du maha-nāda ou nāda-tattva et maha-bindu ou Bindu-tattva est associée à la perception transcendantale. De leur perception peuvent venir les siddhis ou pouvoirs tel, entre autres, celui de la connaissance intrinsèque qui s’écoule via le chakra de la gorge. Vous pouvez mieux ainsi saisir la teneur des exercices de méditation qui vous sont donnés en cours.
S’il faut donc faire la synthèse de ce qui a été dit, nous résumerons en disant que le processus même de la pensée implique des vibrations, de sorte que cette denière a des propriétés sonores susceptibles d’être captées.
La Pensée fonctionnant par śabda, le son ou la parole, implique que les mécanismes de réflexion sont étroitement liés à ceux du langage.
Du point de vue yoguique, de nombreuses techniques liées au son, au mot, à la gestion de l’énergie dans les chakras ouvrent les portes d’une connaissance intuitive et illimitée dont la source est aussi Parā, le son non manifesté.

Hari Om Tat sat
Jaya Yogacaharya

Bibliographie :
« The Védic conception of the four stage of sound « by Sri Jahnava Nitai.
« Le sanskrit « de Pierre-Sylvain Filliozat aux edts du Puf.
Commentaire et adaptation de Jaya Yogacharya