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Les mots éternels

Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du vendredi du vendredi 23 sept 2016

Les mots éternels



Dans notre apprentissage des grands concepts de la pensée Indienne et notre approche du son subtil et fondamental, nous avons parlé la dernière fois des origines du sanskrit sans prétendre cependant couvrir ce vaste sujet.
Dès les temps les plus anciens, est apparue dans la tradition spirituelle Indienne, la conception de la parole sacrée ou transcendante. Parole et sanskrit se retrouvent donc comme un langage unifié porteur des outils de la transcendance. L’idée d’éternité apparut chez les grands grammairiens et ces derniers qualifièrent très tôt le sanskrit संस्कृतम् (saṃskṛtam), de langage « déjà réalisé ».
Cela répond à l’idée que le langage est reçu comme un héritage d’aînés, parents ou maîtres, qui eux-mêmes l’ont reçu de leurs aînés.
Dans la tradition du sacré, en terme de mantras, de rituels, d’arts, aucun héritier ne crée et s’il innove, c’est une corruption car le « langage correct » est déjà créé, déjà là, et déjà utilisé. Le grammairien agence les règles de structure des mots entre eux mais n’invente pas les mots, il ne crée pas les mots.
Cette conception concerne de même les Veda et les textes sacrés en général. Étant transmis oralement de maîtres à disciples, ils sont un héritage immémorial et ne sont pas conçus comme pouvant être créés, ayant toujours été hérités.
Ils sont donc considérés comme éternels.
On les appelle «  āgama », qui signifie « tradition » ou venant d’un maître et « śruti » qui signifie « audition », parce qu’ils ne sont pas obtenus autrement que de la bouche d’un maître.

Les poètes védiques furent donc les premiers philosophes de la parole et leur quête fut la nature transcendance de cette dernière.


Dans le rituel hindou, la parole est l’outil principal du rite d’invocation des divinités à qui sont destinées les offrandes du feu sacrificiel. La formule rituelle paraissait aux yeux des anciens avoir une efficacité cachée la distinguant de la parole ordinaire, nous dit le spécialiste P-S Filliozat. Les anciens s’intéressèrent donc à l’énigme de ce type de parole, lui attribuant un sens caché. Elle fut porteuse dès le départ de bien des grands mots qui traverseront les âges pour être encore de nos jours présents dans notre culture spirituelle, tel par exemple , le mot "Brahman", l’absolu inqualifiable.

C’est donc dans le pouvoir de la parole que les Indiens ont approché le concept de l’absolu et du fondamental.
Ce grand pouvoir de la parole est en fait un outil supérieur, extérieur à l’homme, qui descend en lui, comme une divinité qui vient en lui, lui donnant son pouvoir et sa force.
Les grammairiens comme Pāṇini puis Patañjali, se posèrent la problématique du son et de la connaissance.
Qu’est-ce qui produit la connaissance dans l’esprit quand il y a audition d’un son par l’oreille ?
Le langage semble participer à deux natures, celles du son et de l’esprit !
N’obéit-il vraiment qu’à cela ?
Les sons se produisent en succession dans la phrase émise et parlée et ne sont pas simultanés. La compréhension de cette succession des sons relève du mental mais non des sons eux-mêmes. Les mystiques Indiens n’en concluent pas pour autant que la parole est une pure représentation de l’esprit. Au contraire, Patañjali, va introduire un troisième principe, au-delà du son matériel et de l’interprétation de l’esprit. Ce troisième principe, une spécificité de la parole, est ce qui est manifesté dans l’esprit par le son par l’intermédiaire de l’ouïe et ce qui manifeste le sens dans l’esprit. Ce troisième principe est à la fois manifesté et manifestant.

C’est le Sphota dont je parle déjà dans la conférence Paśyantī, le son de la pensée et qui désigne dans un cadre métaphysique, la capacité de la langue de l’homme à révéler sa conscience.

Pour Patañjali, la parole n’est ni l’essence du son ni un phénomène psychique ou ne peut pas être réduite à cela. Il parle de la parole d’un point de vue philosophique et considère que la parole est autre chose, un śabda, une essence qui n’est ni matière, ni esprit. Il lui donne la qualité de Brahman, comme une émanation de l’absolu. Il lui donne un principe de conscience subtile. La réalité ultime est exprimable par la langue, la Śabda-brahman, ou "Eternel Verbe".
C’est là que jouera la puissance des mantras मन्त्र que nous verrons ultérieurement.


Le sanskrit, pour revenir à lui, a traversé les âges grâce aux lettrés qui en furent les principaux utilisateurs. Les conditions de transmission du savoir ont été maintenues sur des millénaires et le sanskrit fut souvent au cœur de cette transmission.
On donnera le nom de Pandit « paṇḍita पण्डित qui signifie " savant" à celui qui a acquis une grande maîtrise du sanskrit.
Secondairement, un pandit est aussi quelqu’un qui maitrise une langue provinciale, tamoul, etc. de l’Inde et l’utilise comme le sanskrit.
Il n’en reste pas moins que le pandit est caractérisé par une formation intellectuelle où le sanskrit joue un premier rôle, même s’il cultive une autre langue.

Il n’y a pas d’équivalence entre le Pandit et le Brahmane.
Le brahmane se définit par sa naissance et ses devoirs religieux, le pandit se définit par sa formation intellectuelle uniquement. La plupart des brahmanes ne sont pas des pandits mais l’on peut trouver des pandits brahmanes.

Les premiers intellectuels indiens dont le souvenir et les ouvrages sont parvenus jusqu’à nous sont donc les poètes védiques.

"Les premiers grands textes littéraires de l’Inde sont les hymnes du ṚgVeda qui sont la démonstration de l’existence à cette haute époque de grands maîtres du verbe. Ils étaient plutôt des poètes vivant dans la puissance de la parole et leurs œuvres sont des prières adressées aux divinités du panthéon védique et utilisées dans la liturgie. Les rites solennels de la plus ancienne forme de la religion reposent sur des offrandes de lait et de beurre dans le feu à l’adresse de divinités invoquées par des poèmes et informées des désirs humains à satisfaire moyennant des prières. "

La parole est ainsi l’instrument principal dans la réussite du sacrifice.
Elle a un pouvoir efficace qui n’apparait pas dans l’usage ordinaire mais qui est connu du plus artiste, du plus inspiré, qui est l’objet de la quête et de la découverte du poète.
Le poète védique est donc un praticien du sacrifice.

Les grands sacrifices védiques requéraient une grande dépense de matériel et d’exécutants et étaient commandités par des personnages ayant les ressources nécessaires et exécutés par de véritables professionnels.
Les poètes se rangent ici parmi ces derniers.
Ils formaient des groupes et organisaient des joutes poétiques (Brahmodya ब्रह्मोद्य) ; le terme Brahman ब्रह्मन् se référant à ce pouvoir de la parole.

Les qualités recherchées étaient l’inspiration, la pensée exprimée par une belle parole, la rapidité de l’esprit et la capacité d’improvisation. Celui qui réussissait était dit "possédant Brahman".
« Autant le Brahman est étendu, autant grande est la parole ».

L’histoire de l’Inde a donc privilégié cet art de la parole lui donnant une grande responsabilité dans sa société. Le poète védique fut donc l’ancêtre du lettré grammairien de l’époque classique et l’oralité prévalut sur l’écrit pendant plusieurs siècles. Les religieux ou les pandits en furent les dépositaires.
Les maîtres en général, à l’exception des Mauni qui ont poussé quant à eux la parole jusqu’au silence, ont un grand talent de parole. C’est la parole, la qualité de l’orateur qui fait la renommée du pandit, plus que le livre diffusé.

Le modèle idéal du génie créateur en terme de parole fut la figure mythique du sage Vyāsa à qui l’on attribue le Mahābhārata, épopée de 400000 octosyllabes et bien d’autres œuvres. Il aurait tout prononcé de sa bouche, et la tâche de consigner par écrit cette immense masse de parole fut confiée à de nombreux scribes dont le symbolique Ganeśa, écrivant avec sa défense cassée sous la dictée de Vyasa.
Je vous invite vivement à voir ce très beau film théâtralisé d’une durée de 6h de Peter Brook réalisé en 1989.

Une autre figure mythique est celle du poète Vālmīki, auteur du Rāmāyaṇa, épopée de 100 000 octosyllabes (un octosyllabe est un vers composé de huit syllabes) et qui inaugure le style de la grande poésie sanskrite classique. Notre poète Réunionnais Charles-Marie LECONTE DE LISLE a écrit un long poème,
"La mort de Valmiki.
Valmiki, le poète immortel, est très vieux.
Toute chose éphémère a passé dans ses yeux..."


Vālmīki est donné comme le créateur de la strophe épique sanskrite appelée Śloka. "On raconte qu’il vit un bel oiseau aquatique à la saison des amours percé par la flèche d’un chasseur. Ce spectacle l’émut de pitié et son sentiment s’exprima spontanément dans une phrase de malédiction à l’encontre du chasseur et dans un rythme défini : quatre fois huit syllabes avec une voyelle brève non suivie de consonnes à la cinquième syllabe dans les vers impairs, à la cinquième et la septième dans les vers pairs. C’est le schéma de la strophe sanskrite la plus simple et destinée à devenir d’usage universel dans cette langue ; Il est dit que cette strophe est une parole spontanée, un cri du cœur."

Plus simplement, le Śloka sera une strophe de 4 fois huit syllabes.
Une grande partie des mantras que nous utilisons dans la pratique spirituelle, voire rituelle ou simplement philosophique obéissent à cette règle et vous les connaissez déjà.

Om Om
ॐ सर्वेशां स्वस्तिर्भवतु । Sarveshaam Svastir-Bhavatu | 8
सर्वेशां शान्तिर्भवतु । Sarveshaam Shaantir-Bhavatu | 8
सर्वेशां पुर्णंभवतु । Sarveshaam Purnnam-Bhavatu |8
सर्वेशां मङ्गलंभवतु । Sarveshaam Manggalam-Bhavatu | 8
ॐ शान्तिः शान्तिः शान्तिः । Om Shaantih Shaantih Shaantih (i) ||8

Puissions-nous tous devenir chanceux, pour tous qu’arrive la paix, - Puissions tous atteindre la perfection, et puissions-nous tous être bénis. OM ! Paix paix paix

Om Om
ॐ असतो मा सद्गमय । Asato Maa Sad-Gamaya | 8
तमसो मा ज्योतिर्गमय । Tamaso Maa Jyotir-Gamaya | 8
मृत्योर्मा अमृतं गमय । Mrtyor-Maa Amrtam Gamaya | 8
ॐ शान्तिः शान्तिः शान्तिः । Om Shaantih Shaantih Shaantih (i) || 8

Ô Seigneur, mène moi de l’irréel à la vérité ultime, de l’obscurité à la lumière - de la mort que donne l’ignorance à l’immortalité de la connaissance. OM !! Paix paix paix

Les pandits se sont au cours des âges illustrés dans des exploits de mémorisation.
Mémorisation des Veda, dans leurs formes et leurs détails mais aussi mémorisation du contenu des textes. Le pandit garde les mots d’un texte entier dans sa mémoire mais il se souvient aussi de ses matières, de l’ordre de l’exposé, de l’emplacement des idées et des informations dans le texte. Il a souvent en mémoire des phrases significatives. Enfin son trésor le plus précieux est d’emmagasiner un grand nombre de strophes, de proverbes, d’aphorismes moraux, de traits d’esprit, de règles de pensée, de recettes d’interprétation. Ce trésor reste oral et sans âge. Il est une bibliothèque vivante.
La mémorisation est utile pour la compréhension des textes.
Avec la mémorisation se déploie la faculté d’attention. Attention et mémorisation sont des outils très importants dans le yoga.


Dans la tradition Indienne, on note souvent des exploits de ces qualités chez des maîtres. Une de ces performances est celle que l’on appelle "aṣṭāvadhāna " (l’attention à huit choses). C’est un jeu dans lequel on demande au pandit de faire attention à huit séries d’évènements simultanés mais de nature différente, comme une sonnerie de cloche, un défilé de personnes, etc. et de composer en même temps une strophe sanskrite sur un sujet donné, dans un temps très court. Là encore, nous avons une stimulation neuronale. Cet exercice peut-être proposé avec l’attention à 100 choses et s’appellera « śatāvadhānin » et relève alors de l’exploit.

Une grande partie de la littérature sanskrite ne peut être comprise que par un effort d’attention soutenue. Nous sommes là dans une attention et mémorisation plus large que l’usage courant du langage et de la pensée.
Voici donc de nouveaux voiles levés sur le langage sacré. Je vous ai présenté cela dans le but que vous puissiez mesurer la profondeur de cette science et de la philosophie qui l’accompagne et que vous mesuriez bien la notion de sacré devant des formules que vous utilisez et qui vous semblent parfois si étranges.


Nous allons donc finir par deux exercices, à savoir un de mémorisation et un de concentration et de créativité.
Hari om tat sat

Jaya Yogācārya


Bibliographie :

 « Le sanskrit" de Pierre-Sylvain Filliozat aux edits du Puf

 « Propos sur la liberté » commentaires des yoga sūtras de Patanjali par S.Satyananda Sarasvati aux edts Satyanandashram

 Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya

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