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« L’opportunité »

"L’opportunité"

thème : La Mort partie 3
Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation le vend 9 mars 2018

Dans la dernière conférence « La posture du lion », nous avons vu l’approche de la mort selon les traditions spirituelles orientales, et plus particulièrement sous l’éclairage du bouddhisme tibétain. Rappelez-vous, nous y avons parlé du Bardo.
Le terme « Bardo », qui vient du mot sanskrit antarābhava अन्तराभव, désigne un intervalle temporel marqué d’un début et d’une fin. C’est donc un état intermédiaire entre deux moments, voire deux vies. Ce moment est semblable à celui qui existe entre deux pensées ou bien entre la veille et le sommeil.
Tout l’enseignement du bardo chez les yogis tibétains, va consister à utiliser le moment de la mort comme « opportunité » pour atteindre l’éveil spirituel, ce que l’on appelle le Nirvāṇa ‎ ‎निर्वाण.
Le Maha Samādhi समाधि chez les hindous obéit à ce même principe. La grande illumination et la grande libération Mokṣa मोक्ष peuvent être obtenues dans la mort.

Pour le pratiquant spirituel, durant le processus de la mort, la conscience va être en état de veille et s’ouvrir afin de pénétrer des zones habituellement inaccessibles à la conscience ordinaire. Pour cela, le yogi doit descendre dans des profondeurs ténébreuses pour y introduire la lumière de la conscience. C’est ainsi que tous les aspects de l’être pourront être éclairés, voire illuminés.
Pour le grand yogi tibétain Takpo Tashi Namgyal du XVI°s ap J.C, il va falloir savoir reconnaitre la pleine luminosité divine à ce moment précis et suprême, lorsque la conscience du monde sensible disparait et celui où la conscience de l’après-mort apparaît.
C’est, dit-il, dans cet intervalle que demeure « le grand secret », comme il demeure entre deux pensées, ou entre la veille et le sommeil. C’est pour cela d’ailleurs, que le yogi va se préparer aussi au bardo du rêve ou au yoga du rêve.
Cet instant particulier, si important et unique qu’est celui de la mort est insaisissable pour l’homme non entraîné. Toutes les pratiques méditatives Dhyāna ध्यान, les Prāṇāyāma प्राणायाम qui consistent à développer la présence à soi-même, dans l’instant présent, à développer la vigilance intérieure, permettront d’être beaucoup mieux préparé lorsque, dans le processus de la mort, la conscience s’efface et se dissocie, comme elle le fait entre le rêve et le sommeil profond.

Les moines tibétains ont étudié très tôt dans le temps, les processus de dissolution énergétique et psychique dans la mort. Par des états de transes ou méditatifs, ils affirment pouvoir voyager dans l’au-delà.
Nous sommes, rappelons-le, ici dans une culture qui s’appuie sur la réincarnation d’où est issue celle des tülkou.
Un tülkou est une personnalité religieuse reconnue comme la réincarnation d’un maître ou d’un lama disparu. Cette tradition a débuté officiellement au XIIIe siècle. Les lignées des dalaï-lamas et des grands lamas sont des lignées de tulkou de l’école Gelugpa. Ils sont considérés comme des émanations de bodhisattva, revenus sur terre pour aider les êtres.

Sans vouloir remettre en question ces croyances, il y aurait beaucoup à dire sur les conditionnements du mental qui nourrissent ces doctrines, le rêve de la mort projetant l’individu dans son propre univers. Restons près des textes. Pour ces derniers, les êtres n’ayant pas une pratique spirituelle sont dans un processus d’errance. Le désir de libération ne s’est pas encore révélé à eux.
Qu’il y ait réincarnation ou pas, le feu du désir de vivre persiste, jusque dans la mort, voire au-delà.

Les mêmes textes parlent par contre de l’existence d’un corps subtil, qui n’est pas limité par les obstacles matériels et dans lequel l’être se réveille lorsque la séparation physique est accomplie. Ce corps subtil est libre dans l’espace et il est perceptif.

Le corps physique, quant à lui, est un conglomérat des éléments temporels et périssables. Durant la mort, il y a une séparation et désintégration de ces éléments. Étape par étape, lorsque le processus est enclenché, l’être s’affaiblit.
Les éléments Tattva तत्त्व se dissolvent les uns après les autres.
Pṛthvī पृथिवी, l’élément terre se dissout, le corps perd son support et commence à changer, il perd de sa légèreté et de son agilité, il se solidifie. L’élément Apas आपस्, l’eau se dissout et les fluides et sécrétions internes diminuent ou cessent, le corps s’assèche. L’élément Agni अग्नि diminue et se dissout dans le Prāṇa et l’être perd son feu digestif et sa température. Les extrémités deviennent froides. Il va y avoir de même une déperdition des Tanmātra तन्मात्र. Rūpa रूप, la vue se voile, Śabda शब्द, l’ouïe diminue, la conscience s’obscurcit et le trouble s’installe. Gandha गन्ध, l’odorat disparait, le Prāṇa प्राण supérieur devient irrégulier. Rasa रस, le goût ne discerne plus, la langue devient épaisse, l’esprit s’efface et le mourant commence à ne plus reconnaître ceux qui l‘entourent.
L’être ne peut plus se mouvoir et les Prāṇa retournent à leur lieu d’origine.

Bien sur les processus peuvent changer d’un individu à l’autre mais le processus général reste le même.

Pour le yogi tantrique préparé, il y a dans ce processus, un moment pour dissoudre le Prāṇa dans la pure conscience, demeurant pour lui dans certains lieux tels l’ Anāhata cakra अनाहत चक्र ou Brāhmarandhra ब्रह्मन् रन्ध्र, la porte de Brahman.

La pratique du Tumo ou [Toumo] , en tibétain GTUM-MO ,(caṇḍālī en sanskrit), une des pratiques fondamentales du tantrisme de Nāropa mort en 1100 ap J.C, consiste à développer une chaleur interne à l’intérieur du corps. En adoptant les techniques posturales et les mudrā मुद्रा yogiques, par des visualisations et le contrôle des Nāḍī नाडी, on maitrise le souffle et on entreprend la visualisation de petites sphères blanches ou rouges, symbolisant les énergies du haut et celles du bas, mâles et femelles, situées soit dans l’Ājñā cakra आज्ञा चक्र, ou dans le Maṇipūra cakra मणिपूर चक्र le ventre, ou dans la gorge Viśuddha cakra विशुद्ध चक्र.

Pour le tumo, la grande béatitude est l’union de toutes ces énergies, et c’est le feu du tumo, qui brûle Avidyā अविद्या, l’ignorance et Vāsanā वासना, le désir.

Nous retrouvons ce même principe de fusion dans le Prāṇa-pana des yogis hindous, lors de la fusion des 5 prāṇa vers Samāna समान prāṇa lors des Kumbhaka कुम्भक (rétentions du souffle) associés aux Bandha बन्ध (verrouillages de zones du corps) ou dans des exercices du Kriyā yoga क्रिया योग ( le yoga de l’éveil de la Kuṇḍalinī कुण्डलिनी).

La réunion de ces énergies au centre du cœur pour le tantrisme tibétain, au sommet du crâne pour les Hindous, fait partie des techniques énergétiques et de visualisation lors du grand passage qu’est la mort.

Bien sûr, la description des techniques reste ici sommaire et relève d’un enseignement ésotérique.
Les textes vous diront que tous les êtres voient en principe la lumière à la fin de leur vie, mais peu la reconnaissent et sont aptes à se fondre en elle.

Le degré de développement spirituel déterminera cette aptitude à la reconnaître et déterminera surtout dans l’état post mortem, la nature du cheminement de l’être soit vers des mondes intermédiaires le ramenant à nouveau prisonnier du saṃsāra संसार, soit vers la libération de celui-ci.

Cette doctrine trouve ses racines dans l’hindouisme ancien et est décrite dans la Chāndogya Upaniṣad छांदोग्योपनिषद्, où l’on y distingue la voie des Dieux, Devayāna देवयान et la voie des ancêtres Pitṛyāṇa पितृयाण.

Devayāna est la voie des ascètes, des yogis qui passent après leur mort dans les luminosités de plus en plus vives pour atteindre la demeure de Brahmā ब्रह्मा et ne plus revenir,( comprendre Brahman, l’absolu).

Pitṛyāṇa est la voie de celles des hommes du monde, qui ne sortent pas de la matrice de ce monde afin d’épuiser leur karma. Les meilleurs d’entre-eux, ceux qui ont commencé une démarche spirituelle renaîtront dans une famille de pratiquants et pourront retrouver l’état d’esprit où ils s’étaient élevés dans une autre existence, s’efforçant de tendre à nouveau vers la perfection.
Quant aux autres, ils reviendront sans cesse, emportés par la roue du devenir.

On voit bien dans ces doctrines, le fondement "méritant" sur lequel s’appuie la libération.

Mais la puissance du yoga est cette aptitude surtout à détruire en accéléré par le processus de l’Éveil de la conscience et la purification des corps, tous les aspects négatifs développés dans les actes antérieurs. La puissance du yoga permet surtout d’accéder à la conscience supérieure et à la compréhension claire de ce qui EST.

Au-delà des nombreuses descriptions des états post mortem décrits dans le bardo tibétain, ce qui nous intéresse ici, c’est l’opportunité de réaliser sa propre libération dans la mort.

Le chercheur spirituel n’est pas un être qui cherche et ne trouve jamais. Il est en cheminement, et si durant l’existence, les efforts soutenus ne l’ont pas libéré de son vivant, il lui reste cet ultime passage pour réaliser sa propre transcendance.

Cette transcendance sera le résultat de la maitrise de techniques yoguiques de visualisation, de respiration, de méditation « illuminatrices » qui vont :

 des techniques de transfert de la conscience du yoga tantrique bouddhiste ou hindouiste, qui consiste à séparer la conscience de celle du corps à travers des portes spécifiques,

 aux techniques de dissolution finale par l’expérience des strates des plus hautes méditations (Samādhi) du Raja yoga de Patañjali पतञ्जलि, ou les hautes méditations bouddhistes,
 aux « transcendances illuminantes de l’esprit » obtenues par le Jñāna yoga ज्ञानयोग du Vedanta lorsque l’éveil de la conscience absolue se fait.

Dans le Kaivalya pada कैवल्य, le chapitre de la dissolution du Rāja राजा yoga, il est dit :
Lorsqu’il n‘y a plus d’intérêt, à savoir de travail à faire, même dans la méditation la plus haute, le dharmamegha Samādhi धर्ममेघ समाधि se développe par suite d’une discrimination complète.

Le yogi éprouve à ce niveau là, un détachement et se libère même du désir d’atteindre Kaivalya, la libération. Il est passé au-delà du désir. L’ambition d’atteindre le point culminant est dissoute.

C’est le signe que l’aboutissement est là.

Tous les Saṃskāra संस्कार, les germes des impressions passées sont complètement brulés, le karma कर्म cesse et les portes de la réalité s’ouvrent.

Le yogi atteint l’état de Sat-cit-ānanda सत्-चित्-आन्द, « Existence, connaissance, béatitude », état caractéristique de la conscience supérieure, parfois apparenté à l’état, où, au seuil de la mort, un être humain voit sa vie défiler devant lui d’une étrange manière. L’essentiel se ramasse en cet instant ultime, qui prélude à la libération, moment qui met un terme à toute Sādhana साधना, à toute pratique.

Il ne lui reste rien à accomplir. Samādhi et Moksha मोक्ष sont apparentés.

Le processus de changement du mental et des guna गुण vient de s’arrêter, la loi de la cause et de l’effet avec la loi du changement arrive à terme. Il ne peut plus y avoir de renaissance parce que toutes transformations sur les plans physiques, mentaux, connaissent leur terme définitif. Plus rien ne peut être saisi.
La dissolution est donc le point suprême de convergence de toutes les sadhana et la mort en est l’expérience ultime.

Hari om tat sat

Jaya Yogācārya

Bibliographie :
 « Propos sur le liberté » de Svāmī Satyānanda Sarasvatī aux Edts Satyānandashram,
 « Les Six Yogas de Nāropa » de Takpo Tashi Namgyal aux edts Dervy,
 « Mort et art de mourir dans le bouddhisme tibétain » de Bokar Rimpotché aux Edts Claire Lumière.
 Commentaire et adaptation par Jaya Yogācārya

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