Comme au bon vieux temps, nous voilà réunis. Quelle chance avons-nous de pouvoir nous retrouver ainsi et rester fidèles à ces rendez-vous spirituels dans cette ambiance chaleureuse et amicale ! Sur le chemin de l’existence, ces étapes sont de véritables haltes pour chacun d’entre nous. La pratique yoguique va pouvoir alors y jouer de son pouvoir révélateur et régénérateur. Elle peut y chanter son plus beau chant.
Pour que cette pratique garde en nous toute sa puissance, pour qu’elle opère en nous le travail profond de perfectionnement et d’élévation que nous attendons d’elle, il est nécessaire que le pratiquant garde la fraîcheur du désir de cette élévation, le désir tout simplement de transcender.
« Transcender », dans son sens premier, revient à dépasser un état vers un autre plus évolué, plus conscient, plus performant. N’est-ce pas d’ailleurs notre mission que de perfectionner les outils que la nature nous a offerts ?
La transcendance yoguique, quant à elle, a pour objectif la libération de l’état relatif et subjectif de l’histoire personnelle pour réaliser, par la fusion du Je et de l’absolu, le sens de l’universel en soi. Plus simplement, se libérer de la détresse existentielle due à notre identification au temporel.
Le cheminement de la vie est le meilleur terrain de jeu pour exercer ce processus de dépassement. Les expériences, les aléas, les épreuves sont ces obstacles à dépasser qui nous façonnent vers d’autres formes d’expression et de compréhension de nous-mêmes.
Nous devons apprendre à vieillir. La connaissance spirituelle nous donne alors des clés précieuses pour cela.
Il y a de bons obstacles et des expériences positives. Il y en a des plus délicates, voire douloureuses. En fonction de la gravité ou de la dureté de ces dernières, mais aussi du capital psychologique de celui qui les éprouve, toutes n’auront pas le même impact et ne donneront pas les mêmes résultats chez une personne ou chez une autre.
Il y a ceux qui se relèvent systématiquement et continuent coûte que coûte, et il y a ceux qui ne s’en relèveront pas.
Il y a ceux qui abandonnent et procrastinent, ceux qui bifurquent sans cesse du chemin sans rien approfondir. Il y a ceux qui ne voient même pas le chemin sur lequel ils sont.
Choisir le chemin facile en restant au pied de la montagne, dans la vallée, ou gravir la montagne pour avoir un point de vue plus vaste et absolu de la réalité relève de deux intentions. La dernière est animée par la puissance de la quête.
Les leçons de la vie sont souvent difficiles à apprendre et l’énergie que nous mettons à surmonter ces moments clés est autant d’épuisements, parfois de déceptions, de chagrins, de pénibilités qui semblent entamer l’élan spontané de l’envie tout court.
Et nous ne sommes pas tous égaux à ce niveau-là. Ni en capacité de résilience, ni en fatalité de destinée.
Chez ceux qui n’ont pas à subir les affres de la guerre, de la famine, de la pauvreté et autres calamités, en quelque sorte les privilégiés de nos sociétés nanties, certains parfois se désillusionnent vite avant d’avoir compris, alors que d’autres chercheront toute la vie pour affiner leur perception et leur compréhension de l’existence malgré les difficultés.
En yoga, nous apprenons à développer l’endurance et la constance dans l’aspiration.
Suivre le chemin yoguique, ce n’est pas se couper de l’existence dite profane, se mettre à l’abri dans un ashram en ne psalmodiant que le nom de Dieu.
Suivre la voie yoguique, c’est aussi être Arjuna अर्जुन sur le champ de bataille qui va devoir comprendre pourquoi il doit se battre et comment se battre alors qu’il n’est que noble éthique intérieure. Il le fera grâce à l’aide spirituelle et l’aspiration à la vraie connaissance, à savoir celle qui révèle « Ce qui Est » par le processus de la vision spirituelle.
Si nous observons ces mêmes privilégiés, beaucoup d’entre eux n’ont que faire de ce discours de la transcendance et d’invitation à l’effort yoguique pour s’améliorer et se dépasser.
Nous pourrions aisément le comprendre chez ceux qui luttent pour survivre.
Mais pour ceux qui sont affairés aux nombreuses préoccupations routinières et aux diverses activités de plaisir, il reste peu de temps pour la quête du sens et ce à quoi ils s’affairent.
C’est un peu comme si une chape couvrait le mental ordinaire de beaucoup de contemporains installés dans des rails de certitudes et d’habitudes, suffocants sans le savoir dans des idéologies de masse et vivant comme le voisin dans un conformisme de pensée et d’action.
Dans ces parties du monde où il y a une abondance matérielle et technologique, où on ne meurt plus de faim, beaucoup d’êtres humains deviennent blasés et sans aucune aspiration à se dépasser.
Cela toucherait-il plus les adultes que les jeunes générations, du fait de la longue expérience de vie déjà acquise ? Par si sûr !
Les jeunes gens peuvent être aussi blasés par cette marée d’informations, de mails, d’infos visuelles et sonores. Confrontés à des flux d’informations qui circulent d’écran en écran, l’hyper excitation perpétuelle entraîne chez eux une anesthésie des facultés sensorielles. C’est ce que confirment des jeunes diplômés dans les startups.
Cette sur-sollicitation finit par rendre les jeunes diplômés amorphes, indifférents et blasés.
Dans le métier de l’enseignement d’aujourd’hui, les professeurs sont noyés par des sollicitations numériques de coordinations parents-élèves-collègues-administration auxquelles ils ne peuvent pas toujours répondre. La notion de blasé devient alors différente et cet aspect bureaucratique pesant pénalise la bonne volonté pédagogique.
L’acquisition d’un confort, la marée informationnelle dans laquelle tout le monde se noie - nous maintenant la tête sous l’eau, loin de la véritable lumière et prenant une grande part de notre temps - l’assistance technologique supposée nous faciliter la vie et finalement nous obligeant à prendre du temps pour la gérer, sont autant de causes à ne plus avoir de place ni pour l’envie de faire et d’agir ni pour l’envie de se dépasser.
Ce conformisme à outrance y participe.
Alors, pourquoi peut-on devenir blasé ?
Par définition, le blasé désigne celui dont les sensations, les émotions sont émoussées et qui, de ce fait, n’éprouve plus de plaisir à rien. Plus encore, ce pourrait être une personne qui pense avoir épuisé l’expérience humaine et qui est dégoûtée de tout.
Sans aller jusque-là, vivre dans le désenchantement ne peut mener qu’au chaos.
Il est facile, bien sûr, de se lasser de certains aspects de notre vie. Ainsi, certains éprouvent le besoin de trouver un nouvel amour, un nouveau travail épanouissant, de raviver leur intérêt à travers de nouvelles activités et des expériences variées afin d’avoir une vision plus positive de la vie.
Si vous êtes blasé sur un point précis, vous pouvez cependant trouver de la joie ailleurs.
Il y a dans le cœur de l’homme un ressort de l’espoir.
Parfois, nous voyons certains d’entre vous, après des années de pratique, bifurquer vers d’autres voies, sans pour autant avoir fait le maximum dans celle où vous étiez. Ceux-là même ont probablement atteint, soit leur plafond d’incompétence, soit leur seuil de satisfaction et forcément ils s’y ennuient. Leur dilettantisme change juste de terrain.
Nous pourrions penser qu’il suffise de goûter une cuillère à café de l’océan pour le connaître.
Métaphysiquement, oui !
Mais expérimentalement, c’est une autre affaire.
S’immerger dans l’océan, naviguer contre vents et marées est toute autre expérience.
C’est la traversée du chemin qui compte, non la spéculation que nous pouvons en faire. Il y a toujours à découvrir en approfondissant, ce qui permet de toucher davantage le subtil qui se cache derrière l’apparent. Cela s’appelle la maîtrise de l’expérience.
Pour beaucoup de personnes, les valeurs et les idéaux n’ont aucune valeur.
Entre conventions sociales servant l’intérêt forcément de quelqu’un, entre religions comme idéologies échappatoires pour fuir la réalité, tout ce qui peut avoir du sens ou de la valeur est un piège ou une illusion, et rien ne vaut la peine.
Même le bonheur semble une illusion de plus.
Or, le bonheur de manger lorsqu’on est affamé ou de se vêtir lorsqu’on a froid est un bonheur bien réel.
Alors, les plus cyniques penseront : « étranges ces yogis qui s’imposent une heure de méditation sans bouger, qui se contorsionnent dans des positions particulières, qui essayent de faire de curieuses techniques respiratoires alors qu’il suffit de respirer normalement, qui contrôlent leur alimentation, leur discours, etc. ».
C’est si facile au commun des mortels qui ne s’engagent pas, car ne voulant faire aucun effort, de trouver des défauts chez ceux qui œuvrent à mieux faire, en remettant en cause tous les idéaux.
La quête de la transcendance est animée d’espoir et les vrais yogis ne seront jamais des idéalistes déçus.
Dans le monde complexe d’aujourd’hui, nous pensons que nous nageons avec agilité car nous savons manipuler les rouages technologiques que l’on nous offre et qui sont censés nous faciliter l’existence. Noyés dans des systèmes de plus en plus phagocytaires, sans nous en apercevoir, nous nous engourdissons progressivement comme la grenouille qui s’endort dans l’eau chaude de la marmite.
La pratique spirituelle permet de faire sans arrêt des réinitialisations sur bien des plans physiques, mentaux, énergétiques. Du seul fait que nous changeons en permanence et sommes donc mouvants, elle permet cette vigilance pour sortir à temps de la marmite.
Ces prises de conscience sont fondamentalement porteuses d’espoir, car elles maintiennent l’esprit clair et agile, le rendent apte à progresser dans une maturité grandissante.
La pratique yoguique vise à développer les facultés de supra-conscience mais non sans effort.
Or le rêve des transhumanistes d’aujourd’hui, c’est d’atteindre cela sans effort grâce à telle ou telle puce bio-électronique.
Dans ces sociétés de consommation où la loi du moindre effort est la valeur marchande, perdre l’espoir de réalisation personnelle en dehors de ces diktats sociaux est la pire des noyades.
Voyez comme aujourd’hui, des robots sont là pour porter vos courses au marché !
Mais qui serai-je donc avec un robot qui porte mon sac, un avatar qui fait mes postures à ma place, une puce dans le préfrontal qui me dicte mes conférences en japonais ?
S’il y a bien une chose que le monde d’aujourd’hui hyper technologique ne pourra satisfaire, c’est bien la soif de sens et d’espoir de l’être humain. La relativité de toutes nos créations humaines, relatives car pouvant être anéanties par le temps, n’ont été et ne sont que des microfacettes de nos matérialisations de l’espoir.
L’homme a besoin de quelque chose qui le dépasse. Il a donc créé les religions et la notion de Dieu. Elles ont leurs dogmes et leurs limitations.
Le propos du yoga est individualiste par son objectif de réalisation personnelle du Je subjectif, de l’histoire personnelle.
Il propose pour seul dogme l’expérience directe de l’individu avec la réalité.
Mais d’autre part, il a aussi une vision humaniste car il a pour objectif la divinisation de l’homme lui-même en lui permettant non seulement l’optimisation de ses outils et leur transcendance, mais surtout une cohérence métaphysique d’intégration de son existence temporelle dans cet infini intemporel.
Alors, lorsque vous avez l’air de sombrer dans une léthargie, que vous vous posez les questions : « À quoi bon faire ceci ou cela, à quoi bon essayer encore ! À quoi bon espérer ! » Cela pourrait s’apparenter à une dépression sans symptômes.
Mais pourtant tout le reste va bien ! Aucun conflit, pas de problèmes financiers, ni mauvaise nouvelle. Rien ne va mal et pourtant… À quoi bon !
Plus de motivation. Pourquoi je ne pratique plus toutes ces activités que j’adorais ? Pourquoi je délaisse la méditation qui me faisait tant de bien intérieurement, qui m’a changé en profondeur.
Le yoga vous dira que vous êtes en train de perdre le sens du divin, le sens de la quête.
Il est dit en yoga que la maladie arrive lorsqu’on a perdu le sens du divin en soi.
Cela commence par la paresse et la perte de vigilance.
Vous seul construisez votre expérience humaine. Se complaire dans la paresse et l’indifférence, vaquer à perdre le temps en de nombreuses actions futiles en attendant que les expériences qui valent le coup viennent à vous, n’est pas yoguique.
Pour enrichir votre expérience humaine, agissez, expérimentez. Lorsque vous avez passé des années à parfaire un savoir spirituel, c’est un énorme gâchis de ne plus progresser.
Le guide est là sur la marche supérieure et vous attend. Sortez de votre torpeur.
Grimpez avec espoir et confiance comme il le fait chaque jour.
Il est dit que les sages atteignent l’innocence.
Que d’expériences, de dépassements, de détachements sont nécessaires pour cela.
Le détachement dont on parle alors n’est pas celui de l’indifférence et de l’insensibilité, mais celui de l’être devenu enfin libre.
Libre de la peur. Il sait ! Il vibre !
Hari Om Tat Sat
Jaya yogacarya
©Centre Jaya de Yoga Vedanta La Réunion & métropole
