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" N’est-il jamais trop Tár ? "

En respectant la cohérence de l’étude que nous abordons depuis quelques temps, je vais ce soir, faire avec vous une parabole, par l’analyse d’un film récent qui me semble d’une importance à bien des niveaux.

Je veux parler du film « Tár  » de Todd Field sorti en 2023 avec pour actrice principale Cate Blanchett.

Cette œuvre illustre les aléas de l’expression humaine lorsque celle-ci est apte à toucher l’excellence ou à chuter de l’échelle du paradis.

En filigrane, nous assistons dans le rôle principal, à un processus complexe qui oscille entre les hautes sphères de l’hypersensibilité artistique et intellectuelle et les comportements presque reptiliens qui la mèneront à sa perte.

Loin de moi l’idée de jouer à la chroniqueuse avertie et cinéphile. Pour votre gouverne, malgré un visionnage cinématographique conséquent de plusieurs décennies, mon palmarès personnel et subjectif en ce qui concerne des chefs-d’œuvre ne retient qu’un chiffre inférieur à la dizaine.
Tár vient ainsi à la suite de «  In the Mood for Love  » de Wong-Kar-Wai avec Maggie Cheung et Tony Leung Chiu-Way, film sorti en 2000.

Il nous faut parfois savoir patienter avant d’avoir des ravissements cinématographiques .

Voici le synopsis présenté par Allo Ciné :
«  Lydia Tár , cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société. »

Nous entrons à pieds joints dans le cercle restreint de l’art musical classique assimilé ici à un environnement contemporain bourgeois fait d’artistes et d’élites intellectuels.
Ce film est un vrai cours d’éducation musicale où sont soulevées les questions relatives à l’ambiguïté de l’artiste et à l’esthétique de la musique, mais aussi à ce qui différencie l’homme de son œuvre. Ce qui justifiera ensuite la dichotomie comportementale de l’artiste, du moins dans cette histoire-là.

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Ce film montre une grande similarité de scénario avec le magnifique film de Luchino Visconti , le célèbre « Mort à Venise » sorti en 1971 avec Dirk Bogarde, Silvana Mangano et Björn Andrésen. Ce film lui aussi est porté par l’adagio de la 5e de Malher . Pour rappel, l’action se déroule en 1911, à la Belle Époque, dans une Venise visitée par la bourgeoisie insouciante, avant les drames qui vont surgir. Mais surtout, Gustav von Aschenbach , musicien célèbre interprété par Dirk Bogarde , tombera sous le charme du très jeune et beau garçon Tadzio pendant ses vacances à Venise, l’observera, le suivra et le sublimera en secret. Le musicien ne quittera pas la ville mortifère malgré l’épidémie de choléra qui s’y propage et mourra au nom de cette beauté admirée, symbole de la pureté et de la quête absolue pour l’artiste. Sentiments étant vécus en secret et de façon unilatérale, au regard des conventions sociales de l’époque.

Tár, au contraire, évolue à ciel ouvert dans une société libérale où la différence sexuelle n’est plus remise en cause, la société ayant évolué.
Parmi les grands combats idéologiques du XXIe siècle, celui de la libération de la femme et plus récemment, des genres, a permis de dénoncer les abus sexuels, viols, mais aussi harcèlements, manipulations, en revalorisant les droits de la femme et de tout un chacun. Cette libération engageant la responsabilité sociale de l’individu dans ses rapports amoureux.
Dans ce film, le schéma « femme victime - homme harceleur » est permuté en attribuant à la Cheffe Tár finalement ce mauvais rôle.

Mais ce n’est pas là le message fort du film, bien que l’intelligence, l’argent et la renommée donnent parfois un pouvoir qui peut faire perdre tout discernement.
Les exemples ne manquent pas !

Le pouvoir économique et médiatique de la femme contemporaine, en lui donnant la possibilité du choix et la liberté, lui donne aussi la possibilité d’exprimer les travers ancestraux comportementaux du rapport de force.
Plus grand est le pouvoir, plus grande est la nécessité d’en avoir la maîtrise. Cela ne pouvant s’obtenir que par la maitrise de soi-même.

Si dans les deux films, les histoires d’amour sont portées vers les personnes de même sexe, ce n’est pas tant là que se porte la principale similarité.
Elle se porte plutôt, sur la problématique complexe de l’exigence artistique, la quête de la perfection et du beau, la transcendance elle-même par l’art et les passions humaines, ces dernières pouvant soit la nourrir et la hisser, soit la désintégrer.

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Sans vouloir forcer la comparaison de ma parabole pour vous ramener à l’étude comportementale en relation avec les différentes régions du cerveau que nous étudions en ce moment, je vous fais un bref rappel.
Le cerveau étant un peu comme une fusée à étages, nous y trouverons :
 le cerveau reptilien qui gère le stress et les émotions instinctives de fuite, de lutte, ou d’inhibition, mais aussi les besoins viscéraux. Il gère la survie de l’individu,
 le paléo-limbique qui gère votre situation grégaire au niveau du groupe social et vous met dans un rôle, soit dominant, soit soumis, soit axial, soit marginal. Il gère la survie du groupe,
 le néo-limbique qui gère l’aspect éducatif par l’apprentissage, nourrit l’esprit, l’ego, permettant l’accès aux connaissances,
 le pré-frontal qui gère l’accès à l‘inconnu par une conscience supérieure, développée par l’état d’observateur et d’alignement.

Revenons au film. Dans Tár, il y est beaucoup question des émotions.
Les émotions peuvent être de nature graduelle et appartenir aux quatre étages de la fusée précédemment citée.
Nous pouvons trouver :
 des émotions viscérales et instinctives correspondant aux besoins viscéraux, hormonaux,
 des émotions de positionnement dans le groupe humain et les relations sociales harmonieuses ou conflictuelles,
 des émotions où l’éthique, la raison, la réflexion intellectuelle entrent en jeu,
 des émotions subliminales qu’apportent la transcendance, l’extase, la jouissance, la jouissance artistique, intellectuelle ou spirituelle.

L’être humain fait l’expérience de ces différents plans.
Nous pourrions penser que lorsqu’il est doté d’un cerveau pour raisonner dans les sphères supérieures, celui-ci devient une aide à l’éthique comportementale et soustrait l’homme à ses pulsions reptiliennes.
Nous avons vu la dernière fois que cela n‘est pas si évident et que nous pouvions être un intellectuel qui voit rouge...

Chez Tár, il y a ce paradoxe.

D’un côté, elle est dotée d’une extra-sensibilité qui lui dicte l’exigence pour atteindre le sublime dans l’interprétation de la 5e de Malher à laquelle elle se prépare et qui serait la démonstration de cette transcendance, de son talent en sur-validant son statut de maestro.
Nous pourrions lui créditer un cœur sensible, une aspiration au beau et à ce qui est juste.
Mais, d’un autre côté, prise dans l’obsession de la perfection du son et de son art, elle est un vrai tyran sans émotions du point de vue de ses relations sociales.
Elle frise le comportement autiste par l’irascibilité au bruit dans sa quête du beau.
Dans le film, il est dit à un moment :
« Arthur Schopenhauer estimait l’intelligence d’un homme à son hypersensibilité au bruit ». Entendons son hyper-irascibilité.
Dans notre monde d’aujourd’hui, nous entendons hélas plus de déchets audibles que de sons divins, et le verbe de l’homme contemporain a perdu de son panache.
Très peu de personnes s’expriment avec élégance et profondeur.

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Tár donc, sous-couvert de bonnes manières, d’une sobriété contrôlée, est la manipulatrice par excellence qui tranche dans les relations humaines dans le seul but de servir ses propres exigences, autant en relations amoureuses et ses besoins, que professionnellement.

Quel paradoxe ! D’où vient-il ?

Soyez sans inquiétude, je ne me laisse pas absorber par le seul personnage et je continue à parler de vous, de moi dans notre quête de l’excellence et des pièges dans lesquels nous pouvons tomber.

Nous pourrions penser que lorsque l’artiste touche au subliminal de l’expérience artistique, il touche au sacré.
Nous ne pouvons reprocher au film Tár de ne pas ouvrir véritablement cette porte vers le divin ou vers Dieu.
Le discours de l’artiste a tendance à s’enfermer dans la rhétorique musicale du sensible qui semble se heurter à un plafond de verre.
Celui de sa propre intoxication intellectuelle ne lui permettant pas d’accéder aux champs sacrés et inconnus, porteurs d’éthique et libérateurs.

Où se trouve alors la notion du sacré ? Quelle est-elle pour Tár ?

Dans « Mort à Venise », les longs partages discursifs entre les musiciens parlant métaphysiquement et esthétiquement de la musique, intégraient naturellement et sans peur la notion de Dieu lui-même, contestée ou pas d’ailleurs.

La Cheffe Tár semble, elle aussi, parler du sacré lorsqu’elle s’envole dans la description de l’indicible ressenti du chef lorsqu’il interprète une œuvre magistrale.

Elle décrit la complexité de l’osmose avec le compositeur, l’ histoire et les amours de ce dernier, la prise en considération de ses expériences, de ses non-dits et de l’espace libre laissé à l’imagination lors de la composition.
Elle parle de l’espace créatif de celui qui interprète et dirige. Il lui faut savoir extraire le sublime de l’œuvre, ce qui peut dépasser l’intention du compositeur lui-même.
Nous touchons-là un espace subtil qui pourrait laisser supposer que la Cheffe efface sa vie personnelle momentanément, ses propres émotions quotidiennes, pour laisser toute la place à l’œuvre et à son interprétation sublime.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Les espaces-temps transcendants que nous pouvons vivre, nous font faire en effet table rase momentanément de nos émotions ordinaires et négatives.

Lorsque vous transcendez en méditation, vous êtes bien loin de vos impôts !
Sauf, s‘il vous ont tout « raflé » et là, votre mental aura du mal à s’abstraire.
La méditation n’en sera que plus nécessaire pour relativiser mais s’avérera plus difficile à pratiquer. Comprenez bien que si vous êtes en état de stress aigu, les émotions du cerveau reptilien vont prendre la main sur les expériences du préfrontal.

Nous pouvons donc d’un certain côté, reconnaitre qu’elle parle de sacré, puisqu’elle accède à l’inconnu et à l’état transcendantal lors de l’exécution musicale. L’alchimie ayant été obtenue par son accaparation respectueuse de l’œuvre d’autrui et son interprétation personnelle. C’est ce qui fait le talent des grands chefs d’orchestre, Toscanini, Karajan, Berstein et les autres.

Et pourtant, elle semble se heurter à un plafond de verre !
Il lui manque cruellement la dimension de l’éthique spirituelle
.
La déontologie spirituelle apporte humilité, compassion, empathie.
L’éthique comportementale faite de loyauté et de bienveillance caractérise les pratiquants.
En principe !

Chez Tár, le plafond de verre ne peut être brisé car il est fait d’égo.
L’égo est aveugle et prétend ne pas l’être.
Certes, son égo n’est pas grossier, mais il est un égo quand même qui mélange le subliminal avec l’ordinaire par le jeu du pouvoir et cela sans s’en qu’elle s’en rende vraiment compte.

Le manque de clairvoyance sur elle-même malgré sa maturité de cinquantenaire, son niveau de compétence, fait qu’elle assied de façon très calculée, sa suprématie sur son environnement professionnel et personnel.
Elle le fait par la manipulation d’autrui en jouant sur leurs sentiments ou leurs capacités à se soumettre et n’éprouve quant à elle, aucun sentiment profond envers autrui.
C’est une dominante.
Intuitive malgré tout, elle identifie clairement les limites dépassées mais elle continue à trancher par des actes injustes pour le seul service de ses passions et de ses propres projections dans ces relations amoureuses et professionnelles.
Seule compte sa course à l’excellence de l’interprétation sublime de Malher et son petit monde à ses pieds doit pouvoir entrer dans les cases de son puzzle mental.

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Nous sommes en Allemagne en 2023, dans une société contemporaine faite de réseaux sociaux, de la culture wok, du déboulonnage des anciens symboles, d’une Russie à proximité offensive, mais ayant en son sein des jeunes générations paradoxales. Référence est ici aussi faite à la grande culture musicale russe. A cela s’ajoute un monde asiatique technologique agressif et parfois déconcertant de superficialité !
Des pieds de nez évidents sont ici faits.

Tout cela est habilement et discrètement représenté dans ce film silencieux ou personne ne sourit.

Il nous renvoie à la vivacité individualiste actuelle d’une société bien étrange en termes de sentiments, de repères, de relations sociales implacables où l’échange avec autrui n’est basé que sur la rentabilité personnelle.
Il est de même référent de l’évolution de l’art, des critères du moment, mais aussi de son business et du pouvoir économique en jeu.
Un artiste doit être talentueux bien sûr mais il se doit d’être avant tout un bon vendeur de lui-même, le monde de l’art d’aujourd’hui reposant sur l’argent et la communication.
J. Atali préconisait que l’art de demain se devra d’être altruiste, cela semblant être le seul salut possible dans ce monde d’aujourd’hui.
Nous en sommes bien loin...

Dans les hautes sphères de sa tour d’ivoire artistique, Tár a donc oublié la dimension humaine, l’empathie, la compassion nécessaire, bases fondamentales de la réalisation personnelle.
Tár est un bloc d’égo contemporain ne s‘appuyant que sur son talent musical, essayant de transcender bien que le sommet de son crâne soit bloqué sous son plafond de verre égotique.
Le cœur a manqué et le mental a pris le contrôle.
Et c’est là sa grande erreur !

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Nous pourrions de même, constater que sa chute finale est due en partie à ses jeux sensuels, qui, par son insensibilité inconséquente et manipulatrice, entrainent le suicide d’autrui. Pour elle, ces jeux-là sont anodins et non comparables à la quête essentielle artistique qui l’anime. Cependant, ces jeux l’ont finalement rattrapée, la société l’ayant déchue pour cela.

Qu’est-ce à dire ?
Est-ce un problème de maturité chez elle ?
Est-ce une société répressive et moralisatrice qui responsabilise à outrance sous-couvert de son libéralisme ?
Est-ce une société démocratique et juste où les abus de pouvoir sont dénoncés ?
Il y en a de beaucoup plus occultes qui ne le sont pas pour autant, dans le monde des hommes actuels.

C’est assurément un problème d’absence de dimension spirituelle chez elle.
La démarche spirituelle permet, dans ce monde étrange et difficile, d’être la seule issue pour la pensée sensible et intelligente.

Il n’est jamais trop Tár pour le comprendre.
Hari Om tat sat
Jaya Yogācāryaḥ

©Centre Jaya de Yoga Vedanta Ile de la Réunion & Métropole
Remerciements à C. Pellorce pour sa correction

Messages

  • Merci Jaya pour le partage !

    « Ceux qui se manquent à eux-mêmes, craignent par ricochet, de manquer de tout.Alors ils envahissent ce qui est à leur portée, ils se protègent et exigent toutes les garanties. » Daniel Meurois( Vu d’en Haut)

  • Merci Jaya pour la subtilité, la profondeur et la pertinence de vos conférences.

    En écho à celle-ci, une citation apprise à l’école me revenait : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

    Cet aphorisme de Rabelais dans ‘Pantagruel’ (1532), où il écrivait quelques lignes après : « (…) Sois serviable pour tes prochains, et aime-les comme toi-même. Révère tes précepteurs. »*

    Ceci dans un cadre de transmission de savoir. Ce qui fait lien avec votre conférence « Les certitudes » de 2016, où, là encore, vous nous mettiez en garde sur les pièges de l’égo…

    Cet abîme, cette « ruine de l’âme », m’a toujours fait penser au génocide nazi, où des gens souvent extrêmement intelligents, raffinés, éduqués, polis, ont commis l’impensable, l’innommable, l’indicible. A savoir, organiser le massacre systématique d’hommes, de femmes et d’enfants innocents , et ce à échelle industrielle. Au centre du système, au bout de la chaine, des usines de la mort, huilées « à la perfection », sans cesse optimisées pour plus d’efficacité.

    Et après le travail, le Directeur de l’usine rentrait chez lui, border et embrasser ses enfants sur le front. La mort est son métier, pour reprendre le titre du roman de Robert Merle.

    Oui, Tàr est un film magnifique ; magistral, puissant, et tellement en phase avec son époque Je vous remercie aussi de me l’avoir fait connaitre.

    Oui, pour le premier rôle : « seule compte sa course à l’excellence ». Et oui : « le cœur a manqué et le mental a pris le contrôle ». Et pourtant, malgré ce manque de dimension spirituelle, elle a tant de qualités…

    Est-ce le lot de nombre de personnes au pouvoir ? Nous pouvons tous je crois visualiser des gens que nous connaissons, de près ou de loin ; et qui souffrent de maux semblables…

    Indéniablement, le yoga, l’enseignement, nous aide à mieux faire face. Et pas qu’à eux.

    Grâce à vous, nous continuions la quête. Nous continuions d’aiguiser nos regards, notamment sur les écueils. Et tentons toujours de gravir les prochaines marches…

    Merci à vous et à Mahes d’être toujours là pour nous. Inébranlables.

    *
    source : https://www.jepense.org/science-sans-conscience-signification/

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